Selon mon habitude, je partis en avance ce 19 juin. J’allais donc à un train de sénateur, telle la tortue de la fable, ayant l’œil aux champs, aux vaches broutant dans les prés, aux petits chemins bucoliques, à la Seine, si versatile quand elle épouse les couleurs du ciel, se laisse trousser par le vent, ou fait sa modeste, à marée basse.

Me revint en mémoire ce joli texte d’Alphonse Daudet, appris à l’école primaire : Monsieur le sous-préfet aux champs. Comme ce fonctionnaire en mal d’écrire son discours, j’aurais bien cédé à la tentation de m’allonger dans la verdure. D’autant que, surprise : l’herbe de la grande allée d’Etelan vient d’être fauchée et le parfum grisant de ce jeune foin me saisit aux narines ! Je stoppe net, pour mieux le respirer. Et je vois alors, littéralement plantée dans ce doux tapis, une … cigogne, tranquille sur ses deux pattes, ailes repliées, demeurant indifférente à mon intrusion. Je regarde mieux, doutant d’avoir bien identifié l’oiseau, quand une seconde cigogne passe au-dessus de ma voiture, puis une troisième. Quel bonheur, que ces visiteuses, probablement venues du Marais Vernier où elles se sont installées depuis quelques années…

Mais, foin …d’ornithologie radieuse, je ne suis pas à Ételan pour bâiller aux … corneilles, mais pour accueillir les invités du vernissage de l’exposition d’Yves Richard. Un discours, vraiment ? On s’attendait à ce que j’en eusse écrit un ? Point.

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C’est la faute à la tortue, aux vaches, à la cigogne, à la chèvre de Monsieur Seguin… Qu’aurait-on voulu que je parlasse de photographies qui n’ont saisi que des humains ?

Mais pendant le concert qui suit le vernissage, c’est promis, je serai plus attentive à mes devoirs. C’est « Monsieur Jacques », qu’on honore aujourd’hui. Et ils s’y sont mis à quatre : Henry Dubos, le bon géant blond, ceinturé de sa guitare, sa fille Tania au piano, Armelle Mousse, qui a le plus merveilleux instrument : sa voix, et Elisabeth Touchard, en récitante. Connait-elle Le lièvre et la tortue, le sous-préfet aux champs ? Mais non, suis-je bête (ça on avait compris…), Jacques Brel n’avait pas ce bestiaire à son répertoire, que ces quatre-là connaissent par cœur et chantent, accompagnent ou disent de même, en français, en flamant (euh… non : en flamand). Ils nous étourdissent de leurs talents, nous enthousiasment, nous émeuvent, nous font rire et nous finissons par chanter avec eux…

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Ensuite, il faut bien les laisser retourner vers leurs nids, et refermer le château, être les derniers à quitter les lieux, car c’est toujours s’arracher d’un paradis. Allons, grignotons encore quelques minutes de bonheur, en allant saluer Françoise, la vigie de la maison des gardes. Elle nous accueille avec son habituel sourire, son regard lumineux, et demande, avec ce persistant humour qui ne la quitte pas : « Ont-ils chanté les Vieux ? »