Les saisons semblaient changer au fil des siècles…

En haut des toits d’Ételan, dans mon corps de pierres, perchée là depuis des siècles, j’avais moins froid l’hiver, plus chaud l’été. Mais ce temps avait aussi des caprices, d’un jour à l’autre, pluie et froid succédant brusquement à une canicule soudaine. Averses,  éclaircies, neige printanière, brusques tempêtes…

En 1999, il avait abattu d’un seul souffle les grands arbres de l’allée, comme il aurait fait de fétus de paille. Mais la famille habitant le château avait replanté, obstinément. Des arbres plus petits avaient repoussé, peu à peu. Mais en ce juin 2019, Eole, ce dieu capricieux, décida d’être plus gourmand encore, de s’attaquer aux tilleuls que j’avais vu planter il y a quatre siècles. Il épargna le plus beau, près de l’ancienne maison des gardes où veille Dame Françoise, préférant choisir un des deux autres, le plus voisin de la chapelle. Sans doute espérait-il, l’abattant, détruire cette chapelle, si proche. Eole n’est pas de nos dieux chrétiens et sans doute ce bâtiment sacré l’agaçait, bien que les messes d’antan y aient été remplacées par des concerts de musiques anciennes. L’arbre émit un énorme et unique craquement, tomba, ne laissant debout que sa souche. Eole enragea sans doute car ce tilleul, qui avait abrité tant d’abeilles bruissantes et si bien soufflé son étourdissant parfum chaque été, ce tilleul fracassé contraria le terrible souffle, tombant du côté que n’avait pas prévu son assassin.

Il érafla quelques tuiles des écuries, caressa son voisin d’un adieu, écrasa le joli tracteur couleur d’orange où aurait du être un des fils de Dame Françoise. Mais on n’est pas en terre d’Ételan depuis 400 ans sans avoir du savoir-vivre : l’aimable tilleul se rompit avec élégance, épargnant de détruire la chapelle et de tuer le fils, dont, en guise d’adieu désolé, il caressa le dos d’une branche. Un peu rudement certes mais quand on est lourd de quatre cent années, il est difficile d’effleurer avec légèreté.

Le fils, depuis, croit aux miracles.

Il se trompe car les dieux chrétiens n’y sont pour rien. Moi je sais, j’ai vu l’invisible, du haut de mon pinacle : quand l’arbre est tombé, découvrant son immense ventre creux, des fées s’en sont envolées. Elles semblaient heureuses de quitter cette grotte de bois qui les tenaient encloses depuis des siècles. Elles ont longtemps dansé sur l’herbe, de leurs pas si légers, jusqu’à la nuit tombée, le fils couché, la Dame ayant éteint sa lampe. Et elles ont filé vers la garenne, pour danser encore, avec les lapins et les écureuils, avant de s’enclore en nouveau dans d’autres arbres, qu’elles protégeront des tempêtes futures.

Simone Arese, 13 juin 2019
Photo : Martin Boudier

Ce joli texte prolonge « Quand souffle le vent… »,  paru en décembre 2016, alors qu’une autre tempête fit s’écrouler un des pinacles du château.